Le puma perdu – Couverture

— Dites voir, dit Stacy quelques minutes plus tard, je peux vous poser une question ?

Les deux hommes échangèrent un regard, confus par cette demande à la réponse évidente.

— Ce trésor…, commença-t-elle, les yeux baissés sur ses pieds.

L’étonnement de Luis fit rapidement place à l’inquiétude. Stacy n’avait pas même formulé sa requête qu’elle s’était mise à faire tourner les bracelets autour de son poignet. Par expérience, il savait que chaque fois qu’elle agissait ainsi, c’était qu’elle se trouvait dans l’embarras.

Elle releva les yeux vers lui, mais les rabaissa aussitôt, incapable de placer des mots sur ses pensées. Luis observa les deux mains s’agiter au-dessus des genoux de son amie, inquiet.

— Qu’y a-t-il, Stacy ?

Elle resta muette quelques secondes puis le regarda à nouveau, cette fois-ci sans fléchir.

— Pourquoi le cherchez-vous ? Qu’est-ce qui vous motive dans cette aventure ?

Ni lui ni Eddy ne s’attendaient à cette question, aussi le bruit du moteur ronronnant sous leur siège s’imposa-t-il alors qu’ils réfléchissaient à leur explication. Stacy se pinça les lèvres et tenta une autre stratégie.

— Luis, pourquoi as-tu choisi de chercher ce trésor ?

Le regard de leur amie s’était fait lointain, comme s’il était resté accroché par quelque chose, des centaines de kilomètres derrière eux.

— Pourquoi veux-tu savoir cela ? donna-t-il en guise de réponse.

— J’ai besoin de…

Stacy s’apprêtait à fournir une précision, mais elle se ravisa. Ce n’était ni le bon endroit, ni le bon moment.

— Il faut que je m’assure de ne pas avoir commis d’erreur.

Quel serait le bon moment ? se demanda-t-elle alors, regrettant presque aussitôt son manque de courage.

Luis la regarda, l’air inquiet, alors que de petites collines commençaient à se dessiner à l’horizon.

— Tu sais, Stacy, je crois que nous avons chacun notre propre raison, et je crains que l’on ne puisse les comparer.

Elle baissa une nouvelle fois la tête et avala sa salive avec autant de peine que si elle eût essayé d’ingérer une balle de ping-pong. Visiblement, il était décidé à ne pas partager ses motivations avec elle.

— Cela dit, je veux bien te le dire, ajouta Luis.

Stacy le regarda à nouveau, et Luis nota qu’elle avait les yeux humides.

— La nuit suivant notre première allusion au trésor, je n’ai pas pu fermer l’œil. Eddy était tellement déçu, et toi, tu étais perdue entre nos deux choix : partir ou rester. Mes pensées étaient complètement désordonnées et je me suis dit que, en fin de compte, tu avais raison. Mon travail prend trop de place. C’était une bonne occasion pour me changer les idées.

Il marqua un léger arrêt avant de poursuivre.

— Tu sais, à force de risquer ma vie tous les jours, je crois que j’ai accumulé en moi une grande tension dont je n’avais pas conscience. J’ai besoin de l’évacuer avant de le payer de ma santé, surtout que mes loisirs ne sont pas des plus relaxants non plus.

Eddy le regarda, l’air ébahi.

— Tu sais, être flic dans une ville comme New York, c’est pas de tout repos. J’ai beau n’avoir que trente-deux ans, je ressens tout de même une certaine fatigue, et je crois que ce que nous entreprenons va vraiment m’être bénéfique, que l’on trouve le trésor ou non.

Stacy acquiesça, satisfaite de la réponse qu’elle venait de recevoir.

— Et puis, il y a autre chose qui m’a décidé. Le métier que je fais est assez dangereux, il y a bien deux ou trois occasions chaque semaine pour que j’y laisse ma peau, et ça, je crois bien que j’ai de plus en plus de peine à l’accepter.

Il repassa dans sa tête les journées les plus stressantes qu’il avait connues, les arrestations les plus musclées qu’il avait vécues.

Bientôt, le bus traversa un petit village puis s’immisça entre des talus qui émergeaient sur les côtés de la route. Ils avaient maintenant rejoint les collines qu’ils voyaient de loin auparavant, et le terrain se faisait de plus en plus accidenté.

— Et toi ? demanda Luis à son tour. Tu n’étais pas si enthousiaste non plus au début. Qu’est-ce qui t’a finalement décidé ?

Stacy détourna les yeux vers Eddy. Celui-ci regardait dans leur direction, mais il semblait plus occupé à profiter du paysage qu’à participer à la discussion.

Devait-elle le lui dire maintenant ?

— Je… Je ne sais pas.

Une sorte d’appréhension s’était glissée dans sa voix. La réponse lacunaire de Stacy rappela à Luis l’étrange attitude qu’elle avait démontrée deux jours plus tôt, au Jackson’s.

Que peut-elle bien avoir en tête ? se demanda-t-il.

[…]

— Regardez !

Eddy tendit le bras au travers du couloir, pointant le doigt en direction de la fenêtre.

Dehors, en aval de la route, quelques champs s’étendaient au pied d’une pente jalonnée de touffes d’herbe. Leurs sillons convergeaient en contrebas jusqu’à une gigantesque surface scintillante qui semblait capturer toute la lumière du soleil tel un miroir pour la rejeter, cent fois plus éclatante. À l’horizon, enfermant cette étendue aveuglante, les crêtes d’une chaîne de montagnes se dressaient dans le ciel en arborant un fin manteau blanc.

— Le Titicaca !

L’exaltation d’Eddy n’avait d’égal que la stupeur de Stacy et Luis, brusquement tirés de leur conversation. Bien décidé à éclaircir la situation de son amie, Luis se résigna néanmoins à y renoncer pour l’instant.

Le fantastique paysage ne demeura malheureusement pas longtemps devant eux. Rapidement, le bus s’éloigna du lac et disparut entre les reliefs escarpés, laissant des bouquets d’arbres touffus se greffer sur ces sols jusqu’alors secs et quasi dénués de végétation.

Quelques minutes plus tard, une poignée d’immeubles apparut au bout de la route. Leur silhouette de terre cuite se confondait avec les terrains alentour, comme si ces bâtiments avaient été taillés par l’homme à même le sol. Derrière ces constructions, quelques antennes se dressaient dans le ciel, longeant une crête rocheuse qui s’élevait en surplomb du quartier. À quelques mètres devant le bus, un grand panneau sautait au-dessus de la chaussée.

Bienvenidos a Puno.